Les Connexions au Vivant

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Peut-on contrôler l’incontrôlable ? Le confort nous préserve autant qu'il nous anesthésie. A tel point que sa nature, éphémère et précaire, s'est entièrement évaporée de nos champs imaginables. La réintégrer, reviendrait à accepter une part que nos civilisations ont refoulées: notre fragilité.

Loin des omniprésents clichés vendus comme modèles, allant d'indécentes propriétés instagramables, d'inégalables états de santé frôlant l'immortalité, d'une délirante jouissance permise par des dégueulées d'opulence sans borne, jusqu'aux récentes acquisitions de gigantesques bunkers perchés en Nouvelle-Zélande, parallèlement, une humanité lutte avec la réalité. Nous, étrangers de ces cocons artificiels, dansons sur une sinistre ligne de crête où les moyens de survie restent conditionnés. Tout peut nous être arraché. La maladie, le deuil, la guerre, un accident, ou une catastrophe peuvent abruptement nous plonger en l'enfer de la pauvreté la plus absolue. Ces lambeaux de vie qui s'effacent pour ne laisser place qu'à une existence condamnée, une survie dans sa forme la plus violente, sans toit ni ressource, rongée par les affres d'un combat quotidien pour ne pas mourir de froid, de faim, ou foudroyée par une quelconque bactérie ou pathologie. Des milliers d'années n'ont pas suffit à la prétendue conscience supérieure qu'invoque notre espèce pour enfanter une société harmonieuse, où l’intégrité de chacune de ses cellules, chaque individu, y serait inconditionnellement préservées et pansées, où le vivant dans toutes ses formes devrait constitutionnellement être protégé. Voilà les toutes premières briques d'une réelle humanité.

Comme vous le savez j'ai oeuvré, durant plus quinze ans, dans le domaine du prompt secours, en qualité de formateur et de secouriste. Oscillant entre des statuts de bénévole et de salariat, j'ai formé des milliers de personnes aux premiers secours, dans les entreprises, les écoles, aux JAPD, et en interne, armant d'un savoir avancé de prompt secours ceux qui allaient rejoindre notre flotte d'équipiers secouristes. Des compétences et une pédagogie qui me firent confiées par des instructeurs passionnés, des infirmiers anesthésistes, des médecins, des ambulanciers, tous attachés au SMUR de mon département, et que je n'ai tenté que de transmettre.
Autour de ce fil rouge, mon parcours professionnel dans la discipline de la biologie, initié par une formation en laboratoire médical, m'emmena à arpenter les plus importants laboratoires biomédicales et services de soins de ma région: Hématologie/Hémostase, Biochimie, neurovasculaire, réanimation, etc.

Par ces activités d'équipier secouriste et par mes missions à l’hôpital, je fus témoin de l'implacable fatalité, j'ai assisté à des tragédies humaines, j'ai entendu des sanglots de détresse qui auraient pu briser les cieux, et, de mes yeux, j'ai vu le choc saisir et ravager.

L'expertise incontestée de la structure de secours que j'avais intégré, dans la réponse d'urgence aux catastrophes à l'international, m'ouvrit des expériences et des compétences qui, au fur et à mesure de mes implications aux exercices préfectoraux, aux différents plans déclenchés, aux CAI et CHU déployés, et aux formations des acteurs de l'urgence dispensées, dressèrent une globalité, une modeste pensée.

Intégrer le Cygne Noir

Frappé par un drame d'une quelconque nature, individuelle ou collective, nous ressentons son souffle nous happer, plonger en une glaçante terreur et une profonde sidération. Comme sonné par un uppercut. Cet état temporaire de KO est le seul moyen à notre psyché pour, du choc, nous préserver. Le temps laissant, peu à peu, l'inconscient absorber l'aporie, nous reprenons progressivement nos esprits.

Cet impact en nos armatures psychiques est inévitable. Voir, sous ses pieds, son monde se fissurer puis s'évaporer demeure un tsunami émotionnel singulier pour une existence humaine. De ce point critique, certains auront la chance de se relever, alors que d'autres, à jamais perdus, sombreront.

Credits: Denis SALEM

Comme évoqué plus haut, ma conviction, jugée d'utopie, reste que de tels dispositifs garantissant à tous la survie et une dignité suffisante, sans condition ni stigmatisation, devraient se trouver au coeur des fondements d'une civilisation mondiale supposément humaine. Or, nous en sommes loin. Et, c'est précisément ce vide laissé qui appel, par nécessité, quiconque à échafauder ses réponses individuelles. La première étape d'une telle entreprise consisterait à un simple exercice de pensée. Après avoir listé toutes les éventuelles tragédies (maladie, accident, catastrophe, ...) qui pourraient frapper, les avoir classé par ordre de probabilité, nous devons, en chacune d'elle, nous projeter et nous questionner: Qu'est-ce qui, quand le sang, les larmes, la douleur ou la violence devient omniprésents, pourrait m'aider et optimiserait ma résilience ?

De cette plongée en ces abysses acides naîtront nos différentes stratégies préventives et curatives. Bien que, effectuée avec l’exigence requise, cette quête introspective renferme une dérangeante sensation. Celle des intimes reflets que ce froid miroir psychique nous renvoi. Notre rapport à la mort, la maladie, à la fragilité, et à tous les spectres noirs innés à nos incarnations que nous refoulons sous le tapis de notre quotidien.

Rethinking Preparedness

Imaginez-vous dans votre petite maison isolée, enchâssée par les arbres d'une foret insondable et pleine de vie, où, en cette belle journée estivale, règne tranquillité et harmonie. Alors que votre playlist préférée diffuse ses bonnes ondes en fond, vous vous attelez à la confection d'un bon gâteau dans votre cuisine. Jusqu'au moment où les tocs à la porte vous arrachent de votre activité. Devant vous se dressent deux pompiers. Ils vous informent qu'un feu sans précédent s'approche à une vitesse folle, et que vous n'avez plus que dix minutes maximum pour quitter votre domicile avant que celui-ci périsse dans l'infernal mur de flammes.

Il vous faudra du temps pour retrouver vos esprits, absorber la situation, sa brutalité, et vous préserver de la panique. De là, plusieurs questions s'imposent: Dans une telle configuration, que prendre ? Est-ce que dix minutes suffiront pour tout rassembler ? Comment vivre l'après, faire le deuil de tout ce qui a été laissé, ce cocon, ce petit univers et tous les souvenirs qui lui sont attachés ?

Voilà l'une des mise en abyme que j'inoculais à mon auditoire, lors de mes formations à la réduction des risques, pour faire naître le trouble, l'échange et la réflexion.

Instinctivement, l'évocation d'une évacuation comprend l'idée d'un sac d'évacuation. Ces paquetages, clef de voûte du monde survivaliste, qui inondaient Youtube durant les années 2010, doivent être dépassés. Disons-le clairement, la quasi-totalité des évacuations auxquelles nous pourrions être exposés s'effectueraient vers des points de chutes personnels (amis, hotels, etc) et des CHU ou CAI. Alors, pourquoi voir dans un tel sac des badés de scies, bâches, butagaz, et autres poids morts initialement réservés au camping ? Rappelons que, selon la situation, les CAI ou CHU mis à disposition proposerons boissons chaudes, lits "picot", sanitaires ainsi qu'un soutien médical et psychologique.

Au quatre coin du globe des gouvernements invitent leur population à s'insérer en une telle démarche. Pour notre hexagone, le Plan Familial d'autoprotection (récemment mis à jour) incarne cette invitation à la préparation. Or, cet outil de travail demeure une base et non une finalité. Ses éléments pourront se fondre à notre démarche, en les adaptant, en les courbant, en les revisitant totalement, en brisant leur limites.

Ici, vous l'aurez compris, l'unique moteur de ces lignes n'est pas de vous suggérer du "clef en main", comme un énième gadget poussiéreux peuplant notre habitat, mais bien de saisir ces concepts et les intégrer comme parties d'une application beaucoup plus vaste, jusqu'à notre quotidien. A l'époque, nous nous appuyions sur le CataKit (sac à visée pédagogique, non commercialisé) pour provoquer les débats et évoquer ses upgrades possibles par nos apprenants. Outil permettant une premiére approche des besoins élémentaires de se nourrir, boire, se soigner, se proteger, et de constater qu'ils s'articulent différemment selon que vous soyez célibataire ou une famille, selon votre localisation géographique (et ses risques), urbaine ou campagne, selon vos moyens de transports et vos différentes contraintes (maladies, etc.).

Ce travail de fond est une opportunité à repenser ses fonctionnements en profondeur (en y joignant un solide ménage de printemps). Une refonte autant matériel qu'immatériel. Armé d'un mindset remodelé qui permettrait de, quelque soit la menace, naturellement, tout absorber. Il y a quelques années Geoffrey Dorne confessait, alors que les box fibrées s'imposaient comme standard dans tous les foyers, n'avoir que comme seul accès à internet le partage de connexion de son smartphone. Dès lors, comme moi surement, auriez-vous hâtivement condamné ce choix à ses limites sans percevoir ce qu'il renferme: un exercice stimulant de sobriété numérique, une flexibilité, une légèreté et, surtout, une grande mobilité. Cette capacité de nomadisme permettant, en cas d'exode forcée, de garder inchangé ses habitudes de connexion.

Par cet exemple, appuyer ma conviction: Dans l'arrachement, les morceaux de notre monde doivent nous suivre. Ce sont les éléments qui font notre quotidien (vêtements, informatiques, nourriture, etc.) qui doivent peupler nos solutions d'évacuations, pour des considérations psychologiques évidentes.

Enfin, notre réflexion doit couvrir tous les angles. Jusqu'à l'éthique. Nous savons ce que la pourriture humaine peut enfanter. Combien d'animaux domestiques, chaque année, sont abandonnés, laissés au plus funeste sort, par ceux qui, pourtant, avaient juré de toujours les protéger, mais se précipiteront, sournoisement, quelque temps plus tard, de trahir toute forme de valeur humaine pour la "tranquillité" d'un départ en vacance, un projet impensé de reconfiguration du foyer familial, ou par une simple et capricieuse lassitude consumériste. Et ça, en temps normal. Imaginez en période de crise, cette folie démultipliée. Quelques soient les circonstances, ces immondes lâchetés doivent à jamais marquer leurs auteurs au fer rouge. Nous, humain, avons déjà intégré nos compagnons non-humain, comme membre à part entière de notre famille, aux préparatifs de résilience, en prévoyant carnets de santé, certificats I-CAD, caisses de transports, nourriture, à toutes éventuelles évacuations.

Nos plans permettront, évidement, de proposer de l'aide (mutualisée) à notre voisinage frappé d'une mobilité limitée en cas de fuite nécessaire. Notre vision demeure celle de la solidarité et coopération.

Maillage résistant

Ici, une clarification s'impose. Ces lignes ne seraient, en aucune façon, une ode au mouvement survivaliste. Répétons-le: si un brasier nucléaire ou une quelconque comète finissaient par raser notre humanité, je préférerais mille fois périr avec cette dernière, plutôt que de survivre avec ses rescapés. Car je sais trop bien quel type de société, d'eux, naîtra. Un champ de ruines perpétuel fondé sur la peur, la domination, l'hostilité, la violence et un individualisme poussé à son climax. Dès lors, j'entend certains me crier que la démarche survivaliste inclut l'entraide. Oui, mais une entraide si conditionnelle, si intéressée, si viciée qu'elle devient pure simulacre, qui laisse dans chaque écart, dans chaque présupposée menace, le pretexte à accoucher d'effroyables bains de sang. Aucune structure horizontale et globale, aucune volonté de démocratie directe, aucun réel commun, harmonie et empathie ne peuvent prendre pied en ces forteresses isolées (BAD). Pourtant, malgré ses idéos rances et ses excès, ce mouvement apporta des concepts majeurs (sac d'evacuation, EDC, etc.) et les premiers jalons d'une prise de conscience.

Avant de voir notre quartier, nos villes, notre pays ou notre Terre emportés par un incident naturel ou technologique, nous ressentons une crise traverser nos existences. Celle d'un systeme qui entre en son crépuscule. Une mort programmée que nous sentons, jour après jour, fatalement, se rapprocher. Par le délitement quasi-exponentiel de nos services publiques, de nos réseaux de santé, nos dispositifs sociaux, nos transports, l'energie, tout devient impensé, impensable et glaçant d'absurdité. Ce commun que nos aînés avaient étayé après la guerre, qui permettait à chacun d'être soigné gratuitement, de se voir préservé de la pauvreté, ou de pouvoir se déplacer, se chauffer à des couts acceptables, ce commun qui aurait pu ouvrir la voie du bien-être à d'autres pays fut la cible privilégiée de la horde de fossoyeurs qui n'a eu de cesse de saturer les lieux de pouvoirs de notre hexagone depuis plusieurs décennies. Piller, piétiner, saigner ce que la sueur du collectif a bâti, jusqu'à l'hemorragie, jusqu'à l'asystole. Et se gaver, jusqu'à l'aveuglement, jusqu'à l'hubris, jusqu'à devenir, dans les rires et le cynisme, les contre-maîtres de la destruction, de la mort.

Un jour, l'État fut nu. Ces jours où la pandemie du SRAS-CoV2 fut un révélateur, une mise en lumière de leur crasse incurie. Les essentiels étaient absents. Des masques attendus de Chine. Les masques improvisés avec des lambeaux de tissus. Alors que la peur guidait notre belle population à dévaliser les rayons de pates et de PQ, le corps soignant était équipé de simples sacs poubelles comme unique protection contre un virus omnipresent.

L'effondrement rampant. Aujourd'hui, c'est un nombre croissant de personnes qui se retrouvent sans medecin generaliste, sans possibilité d'être accepté sur la liste des patients de dentistes, d'ophtalmologistes et autres specialistes, interdit d'IRM ou de scanner. Savez-vous ce que cela fait de se voir abandonné par le seul édifice qui est censé, sans condition, soigner un mal qui viendrait nous foudroyer, de se voir démuni, esseulé, face à une maladie qui, en nous, s'installe et ne cesse de nous ronger? Pouvez-vous imaginez la terreur vous happer alors que, dans la detresse, la douleur extreme et l'agonie, vous vivez en pleine conscience vos derniers instants, chez vous ou sur un froid brancard (ou une toute aussi froide maison de retraite), dans la plus insondable indifférence? Voilà ce que leur systeme fou et leur chienlit a enfanté.

Alors que s’effrite les derniers pilliers de notre société, ma conviction reste qu'un maillage collectif doit se dresser. La nature de ses liens serait l'écoute, la bienveillance, l'empathie, la solidarité, l'humanité et la protection du vivant. Une toile qui, structurellement, prendrait soin de chacun de ses individus. Où chaque noeud serait un.e référent.e ou une référence (un lieu). Et, où ses noeuds doivent pulluler, et la toile s'étendre et se densifier. Non pas en se coupant de notre société, mais bien, à bas bruit, en son centre, s'enraciner.

Pour ça, armez-vous d'un savoir qui nourrira votre pouvoir personnel, en vous formant aux premiers secours, à l'herboristerie, au jardinage, à la mycologie, à la couture, apprenez l'électronique de base, la méditation, à nager ou tout autre domaine qui vous parlera et que vous jugerez essentiel.

Alimentez le local, nourrissez votre écosystème rural, tissé un lien fort avec les artisans qui peuplent votre centre-ville, achetez votre pain chez le boulanger, vos fruits à l'AMAP ou chez le maraîcher, vos livres chez le libraire, etc. Nos îlots de résistance et de résilience.

Occupez vos FabLabs. Qu'ils demeurent vos QG dans la lutte contre l'obsolescence programmée. Qu'ils abritent la créativité, l'échange et la convivialité qui vous ressourceront.

Autant que vous le pouvez, adoptez la June afin qu'elle irrigue vos initiatives, vos interconnections, qu'elle s'érige comme pierre inoxydable de confiance au commun.

Tout les lieux où, tels les cellules d'un corps, vous vous coagulerez, transmutez-les en de rayonnantes auberges espagnoles. Faites que ces undergrounds tissés demeurent le baume sur les carences d'un système condamné, qu'ils accueillent et préservent votre collectif, votre individualité. De ces sanctuaires de convivialité, seront pensés et construits un espoir, un avenir meilleur, une destinée.

Face aux ténèbres qui nous enserrent, contre leurs chimères puantes qui dévorent notre monde, contre ses limbes, sa cruauté qui a métastasé les âmes et les coeurs, soyez les anges gardien du vivant, incarnez la générosité, la beauté, la compassion, l'amour, la Conscience.

Prenez soin de vous et de votre monde...