dimanche 26. octobre 2025
Le passage par Paris est toujours une souffrance, un stress, une folie. La traversée de cette gigantesque boue acide, de ce bas astral national, s'est imposée à tout déplacement ferroviaire qui permet de se catapulter au quatre coin de la France. Alors, afin de me préserver de ces affres, j'ai toujours opté pour le plus raisonnable, sauter de gare en gare par taxis interposés, en minimisant les points de contact avec cette glaçante entité. Non par suffisance, mais pour ce qu'elle est et ce qu'elle incarne: une omniprésence d'inhumanité, un condensé névrotique et une vertigineuse absence de beauté.
Mon voyage pour Nancy n'en était pas exempt. De plus, le nord et l'est de notre hexagone sont des régions qui, de prime abord, me rebutent. Pourtant, pour 48h, je dépassais cette aversion pour rendre visite à Denis, et me laisser convaincre par sa ville.
Mes premiers pas tout juste posés en terre nancéienne, la première action planifiée fut de rejoindre mon camarade chez lui. Or, plus j’avançais dans les méandres de cette métropole, plus je m’enfonçais dans un labyrinthe dantesque: Maps déraillait, aucune rue ne correspondait, les maigres repères sur lesquels je tentais de me reposer un à un s’evaporaient, plus rien n’avait de sens. Une heure trente de marche aura suffit à son Minotaure pour me zombifier. Cette ogre affamé venait de me dévorer.
Alors, venant à ma rencontre, délaissant ses impératifs, Denis, l’ange noir cyberpunk nancéien, m’extirpa de ces limbes. Une fois remis sur les rails, je repartis seul vers le centre ville, où mon AirBnB m’attendait. Naviguant dans le coeur de cette cité, ses courants paraissaient plus limpides, comme si l’agglomération se déliait et m’accueillait. Enfin les premiers points d’ancrage, les structures clefs de cet infini labyrinthe se dégageaient: La place Stan, les premières portes et parcs.

Mes affaires déposées à mon AirBnB, je prenais un moment pour admirer ce ouateux studio perché au 4éme étage sur les rives “Château Salins”, tel une éphémère garçonnière surplombant cette méga-ville grouillante.
Il restait trois heures, avant de retrouver Denis, pour errer dans les entrailles de ce cachalot urbain et découvrir ses pépites. Peu à peu, le temps et ma marche intuitive opérèrent comme révélateurs de structure. La place Stan, les portes rencontrées, les églises, bâtiments administratifs, le dédale de ruelles commerçantes, les enseignes, tous prenaient pied dans une topologie citadine qui, sous mes pas, commençait à se dévoiler. Des espaces que Thierry avait déjà, il y a prés de dix ans, psychanalysé et établi en ville de l'écrivain.
La place de l’Alliance est un oasis. Assis sur l’un de ses bancs, je contemplais à l’infini ses courants, jusqu’à leurs abysses. Une plongée dans chacun des recoins de cet havre de calme et de bien-être, où jaillissaient souvenirs, idées, sensations, émotions et une singulière paix intérieure.
Il était 18h25, et je devais partir, retrouver Denis place Stan. Arpentant les ruelles commerçantes, mon guide était déterminé à me faire découvrir les lieux les plus importants de sa ville.

Nous commençâmes à nous poser chez Mandaloun, un restaurant libanais, à l’enseigne modeste, presque cachée, qui brisa toute apparence. Car c’est autour de la dégustation de délicieux mezzés que, enfin, nous prenions le temps d’échanger nos espoirs, nos utopies, nos aventures, nos craintes, et voyions nos convictions profondes, nos mondes se renforcer ou s’entrechoquer.
Une fois le corps rassasié par les succulents mets libanais, nous repartions avec l’objectif de dénicher une table d’un bar suffisamment calme pour initier quelques games de Magic The Gathering. Parmi la nébuleuse de tavernes qui jonchaient ces ruelles, Le Ch’timi s’imposa comme l’inevitable, le plus attractif, le plus idéal des champs de bataille. Même si sa terrasse était saturée, son intérieur était déserté. Ses tables nous tendaient les bras. Les Virgins Mojitos sirotés furent le sablier du combat des deux magiciens qui, dans une atmosphère crépusculaire, laissaient pleuvoir leurs sorts en une ambiance amicale. Ce soir là, deux monoU s’entrechoquaient, les Merfolks peuplaient les lieux alors qu’une bibliothèque control (Bascule) annihilait tout déploiement, toute croissance.
Il était presque 22h, et nous regagnions la Place Stan. Car, en période estivale, à cette heure, par un processus de Mapping (identique à celui du Château de Blois), les façades de ses bâtiments s’illuminent et entre en une danse féerique. Le spectacle est magnifique, presque magique. Pourtant, entre deux gorgés de Virgins Mojitos, Denis et moi n’avions pas pu nous empêcher de relever les quelques passages d’utilisation de la technologie IA, affreusement manifeste.
Comment terminer une telle soirée ? Quelle ultime activité pour conclure ces quelques heures qui furent si riches et précieuses ? Par une exploration Urbex ! Pour des considérations évidentes de confidentialité, votre humble serviteur ne vous livrera, ici, aucun indice significatif sur ces lieux foulés. Toutefois, l’air si chargé, presque éthéré de cette première expérience, de ces étendues, de cet infini labyrinthe qui marqua à jamais mon encéphale fut si fort et singulier, que je dois par ces lignes continué de le faire vivre.
L’obscurité absolue se lovait à un silence assourdissant. La froideur du vide. Notre unique présence comme résistance, comme témoin de l’abandon, par une plongée glaçante dans les abîmes, un voyage irréversible au coeur du refoulé, de l’inconscient collectif, et, surtout, du notre.
Il était presque minuit quand je regagnais la chaleur de mon AirBnB.

Ma liste d’endroits à découvrir suggérés par Denis était suffisante pour occuper bien plus que ma journée. Commencé par le quartier Saint Sebastien, je sautais d’églises en églises, de parcs en parcs, de rues en rues. Le parc de la pépinière, la cathédrale Notre-Dame de l’Annonciation, le Muséum-Aquarium ainsi que le jardin Alexandre Gordon allaient, je le savais, se graver à ma mémoire.
Les kilomètres à sillonner la métropole creusèrent une faim qui m’emmena au Osaka StreetFood, un restaurant que m’avait conseillé Denis. Comme le restaurant libanais, cette petite enseigne aux spécialités japonaises ne jouissait pas d’une superficie ample. Cependant, ces quelques petits mètres carrés suffirent à exprimer l’excellence, à faire naître une inégalable et précieuse alchimie: Un accueil chaleureux et prévenant, un aménagement charmant, des denrées fraîches et de qualités composées telle la partition d’une symphonie de saveurs somptueuses.
Bien sûr, rappelons que ces auberges, jalonnant mon séjour à Nancy, vers lesquelles mon guide m’introduit, remplirent les exigences de mes habitudes alimentaires. Tous étaient VeggieFriendly.
Le délicieux bol de ramens digéré me donna la force pour repartir et affronter le labyrinthe nancéien.

Un autre spot que je devais rejoindre fut la Galerie 72. Cette antre qui renfermait une fascinante et fragile disruption, me scotcha net. Déjà, le concept: faire cohabiter une brocante atypique avec un espace dédié aux accessoires et à la culture du Skateboard. La partie brocante, contrairement aux habituels antiquaires, ne saturait pas de bibelots poussiéreux, ne sentait pas le renfermé, mais avait tout d’une boutique classique avec des allées ainsi que des étales aérées et ordonnées. Les articles peuplant cette caverne néo-retro venaient, dans l’écrasante majorité, des années 70, 80 et 90, agencés par espaces: electro-retro, friperie, art de la table, jeux. Un paradisiaque shoot de nostalgie pour ceux qui, comme moi, ont grandi dans les années 80. Une troublante bascule s’opère quand vous franchissez la partie Skate-boutique. Tout aussi agréable, un univers récent, coloré et neuf vous ramène à ce domaine et à sa cool-attitude. Incarnant, en cette seule échoppe, deux mondes interconnectés, qui résonnent par leurs échos.
Le reste de l’après-midi s’imposait comme une dernière flânerie urbaine. Pause à l’église St Sebastien, le petit parc Charles III avant de retourner à mon AirBnB pour commencer à rassembler mes affaires.
18h30. Je partais rejoindre Denis et son amie qui m’attendaient pour 19h devant la Fnac. Or, une demi-heure n’aura pas suffit à me permettre de trouver ce point de RDV. Pourquoi n’ai-je pas appelé Denis ? Car, je l’avais déjà exagérément dérangé durant ces deux jours, et que malgré le nombre de personnes sollicités pour m’indiquer mon chemin, j’étais déjà passé devant cette enseigne, je me savais tout près, et sans pouvoir l’approcher je savais que mon obstination dévorante suffirait à me faire regagner ce lieu. Pourtant, c’est avec quinze minutes de retard que je les retrouve, devant la Fnac qui, finalement, se trouvait face à la gare. Malgré mes excuses et les circonstances exposés, même s’ils tentaient de le dissimuler, je les sentaient intérieurement froissés. Les discussions engagées lors du trajet vers NemoBowl permirent de dénouer progressivement ce léger incident. Autour de nos PokeBowls, les sujets de discussions s’enchainaient, nous parlions architecture, cinéma, ésotérisme, technologie et culture, alors que le ciel, au dessus de nous, petit à petit, s’assombrissait dangereusement.
Une fois NemoBowl quitté, nous traversions la ville pour retrouver un lieu que Denis souhaitais plus que tout, à juste titre, me faire découvrir: Le Court-Circuit. L’entrée en cet îlot de sérénité fut le bouquet final de ce séjour en Meurthe-&-Moselle. Rassemblant en son sein une épicerie de vrac Bio, un café/bar et un inégalable lieu de vie. Géré de façon associative, ce lieu est l’incarnation de mes espoirs, mes utopies. Un mini-Darwin installé en plein cœur de l’urbain, portant une démarche de localisme, d’écologie et de bienveillance. Même si, dehors, à tout moment, les étendues nuageuses d’un gris métallique menaçaient de faire basculer la ville dans un violent orage, ce cocon semblait nous en protéger. Le mobilier me fascinait, de la recup’, des constructions impeccablement fabriquées en palettes, des canapés, tables, chaises, rien de brouillon ou délaissé, tout y était méticuleusement pensé, fait, soigné et agencé.
Alors que nous finissions nos verres, l’amie de Denis nous quitta pour des raisons manifeste d’épuisement. De là, toujours sur cette table où Révolution, Dream et Love étaient gravés, nous décidions d’engager quelques ultimes combats de Magic. Sous un filet recouvert de lierre, dans une atmosphère tamisée, avec une terrasse peu occupée, où les parties de jeu se succédaient, le temps semblait suspendu. Jusqu’à la fermeture, nous savourions ce moment magique.
C’est dans une air électrique et menaçante que nous partagions un trajet de retour comme prétexte à de profondes discussions, qui mêlaient métaphysique, mysticisme et science. Un stimulant échange qui prit fin par nos chemins divergents pour rejoindre nos chaumières respectifs.
Arrivé à mon AirBnB il n’a pas fallu dix minutes pour que le puissant orage s’abatte. C’est donc dans la froideur et dans une sombre matinée pluvieuse que je regagnais les glaçants TGV parisiens, tel un supplice, un “chemin de croix”. Et, enfin regagner ma belle Sologne.
P.S : Toutes mes plus vibrants remerciements à Denis, pour toutes ces pépites partagées, ce guide exceptionnel qu’il fût, et l’humain entier que je suis fier de côtoyer.
