Les Connexions au Vivant

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"Toute révolution franchit systématiquement trois étapes : D’abord, elle est ridiculisée. Ensuite, elle subit une forte opposition. Puis, elle est considérée comme ayant été une évidence." Arthur Schopenhauer

Notre époque s'est muée en un gigantesque champs bouillonnant, où sans cesse surgissent et se multiplient prises de conscience, désir de changements, prodigieuses innovations et souhait de rupture à l'existant. En ses fondations, de substantielles lignes de forces s'estompent, se constituent, s'effacent, se raniment, se renforcent, s'entre-mêlent et se brisent, révélant l’obsolescence de son vieux monde qui, peu à peu, s'effrite pour céder la place à une inévitable métamorphose radicale de notre façon de produire, consommer et penser. Parmi ce vivier de révolutions émergentes, une retiendra, ici, particulièrement notre attention: la viande cultivée.

Le sujet sera vecteur de rire et de rage par les chasseurs, les réactionnaires ainsi que pour les apôtres de la mort industrialisée. Aveuglés par leur soif de souffrance, à cette opportunité de changement ils n'y verront qu'un non-sens, pire, un éminent danger à annihiler.

D'autres, plus perfides, saturant jusqu'à leurs sommets les mondes du New-Age et de l'écologie, tristes démiurges du faux-semblant, surjouérent la désolation face aux forêts par les flammes ravagés, de voir la Terre et son écosystème éventrés et pillés, Ils n'eurent de cesse que d'étaler leur désespoir face à l’ignominie d'un règne animal broyé. Affichant avec force leur soutien aux militants de la cause animale, et se prétendant, particulièrement, connectés au vivant. Alors qu'en off, loin de toute caméra, nous fûmes témoins de leurs dégueulées de haine à l'encontre des animalistes, antispécismes, vegans et autres "carencé.e.s", "dégénéré.e.s", "extrémistes" ou "infesté.e.s de basses énergies". Nous vîmes ces quelques éveillé.e.s surplombant le commun s'enorgueillir d'avoir convaincu leurs compagnes, jusqu'alors végétarien.ne.s, de revenir à une consommation assidue de chair animale. Dès lors, nous savons que, quelque soit la substitution proposée et sa qualité, ces fabuleux personnages, feindront le trop, le pas assez, useront de leur habile mauvaise foi afin de rejeter toute innovation qui, de près ou de loin, s'attaquerait à leur petit plaisir gustatif, même s'il est bâti sur une montagne de cruautés et d'abominables fleuves de détresses.

L'hypocrisie atteint son climax quand l'aveux s’entremêle à la fierté de prier, non pas afin de témoigner de sa gratitude auprès d'une quelconque entité éthérée pour le repas permis, quel qu'il soit, mais, par "compassion" à l'animal qui "a donné sa vie" pour fournir la sacro-sainte bidoche dans leur assiette. Aucun wishfull thinking, aucun pseudo-principe karmique fantasmé, ne pourront gommer la réalité selon laquelle tout être vivant aspire, intrinsèquement, à vivre. Aucune "meilleure" condition de vie, aucune lâcheté ne pourront jamais absourdre, atténuer ou justifier les vies arrachées. Même si vos mains jointes sont indemnes de tout sang, vos corps, eux, restent engorgés de cadavres et de mort.

A leur contact, nos espoirs en notre espèce auraient pu se désagréger. Heureusement, nos chemins de vie nous ont permis de rencontrer, en ces mêmes sphères, loin de toute notoriété, des êtres humains qui se sont vu aspiré par l'appel d'une quête intérieure extrême avec les peuples premiers et leur medicina, s'isolant pendant des années au cœur de la Selva ou au fin fond de la Toundra, afin d'embrasser une expérience initiatique puissante et périlleuse, leur permettant de vivre une véritable communion avec le vivant, dans toutes ses manifestations, minérales, végétales, animales, et d'intégrer, jusqu'à dans leur chair, la nécessité sine qua non de tout faire pour les préserver. Par la parole et l'action, à travers leurs choix alimentaires, leur mode de consommation et leur pensée, ils se sont joints aux rangs de ceux qui ressentent une empathie envers la vie et que vous qualifiez de "dégénéré.e.s" ou d'"extrémistes". Ils ont eu le courage de se confronter à leur dissonance cognitive avant de la briser.

Alors, vous l'aurez compris, mon plaidoyer tentera de servir au mieux ceux qui n'ont pas la parole, qui n'ont que la peur et les cris de désespoir. Ceux qui vivent dans l'enfer que notre prétendu humanité a enfanté, cerné de caillebotis, de ferrailles, de barrière, de tôle, d'infernale chaleur, de concentration et d'hypoxie. Tous ceux qui, non humains, dotés d'une conscience, d'émotions et de nocicepteurs, sont jetés dans un couloir de la mort trop tortueux pour permettre un retour en arrière, poussés dans une salle où les crânes sont fracassés à la chaîne, où les gorges et les carotides sont tranchées presque mécaniquement, de façon incessante. Jusqu'à l'agonie et le dernier battement de cœur.

En m'adressant à mes contemporains qui ont suffisamment cheminé pour comprendre l'ignominie de la viande conventionnelle et tout l'enjeu que la viande cultivée permettrait, je ne cherche pas à les convaincre, mais à leur fournir toutes les avancées sur le sujet afin de renforcer leur choix de se détourner de ce triste massacre de masse.

Culture cellulaire

S'obstiner à nourrir cet ogre dantesque, nous le savons, contribue à précipiter une imminente tragédie environnementale. Sa voracité ne cesse de croître, rongeant jusqu'à l'os notre écosystème. Pris par un déni collectif et guidées par des striatums en roue libre, nos sociétés restent crantés à une délirante production de viande conventionnelle qui demeure les facteurs majeures à l'augmentation de gaz à effet de serre, à une curée insoutenable en eau et en céréales, ainsi qu'à une tragique déforestation, incluant le "poumon de notre planète", la forêt Amazonienne.

La viande cultivée se propose de nous extirper de ces folies amorales et écocidaires. Pour le comprendre, des préjugés doivent être dépassés, et des évidences rappelées: La viande cultivée n'est pas un énième simili, elle n'est ni plus ni moins que de l'authentique viande. Or, contrairement à la viande conventionnelle, celle-ci est décorrélée de toute mise à mort ou quelconque forme de barbaries. Cultivée in-vitro, transposant à l'identique les mécanismes cellulaires et biochimiques se déroulant à l'intérieur du corps de l'animal, elle permet de produire les mêmes éléments qui constitue la viande conventionnelle, majoritairement constituée de cellules musculaires, graisseuses et de tissus conjonctifs.

Son procédé pourrait se résumer, de façon non-exhaustive, à ces quelques étapes: Le prélèvement de cellules souches (CS) par méthode mini-invasive sur un animal ou un oeuf, ces CS seront triées puis stockées dans une banque de cellules. De là, des fibroblastes, myoblastes, cellules mésenchymateuse ou iPSC (CS Pluripotente induite) pourront être sélectionnées et déposées dans des cultivateurs (aussi appelés bioréacteurs) pour se multiplier exponentiellement. Dedans, tout y sera contrôlé, l'apport d’oxygène, la température, le pH, les niveaux des métabolites ainsi que l'approvisionnement de milieu nutritif. Ces milieux nutritifs délivrant aux cellules du glucose, des sels inorganiques, des acides animés, des facteurs de croissance (nous en reparlerons plus bas), des lipides et antioxydants, fournissant les nutriments nécessaires à leur prolifération ou différenciation. Enfin, une dernière étape non-systématique, l’échafaudage de matrice extra-cellulaire fournissant aux cellules un support structurel pour s'y adhérer, se différencier ou mûrir.

Cette mise en abîme des processus de culture de la viande cultivée, je le sais, précipitera une déversé d'indignations, d'appels à l'ignominie, à l'impensable par certains, obsédés de ses caractères "artificiels" ou "de laboratoire". A eux, rappelons à quel point nos frigos, congélateurs, garde-manger et, de facto, nos assiettes, en artificialisation sont déjà saturés. Tous ces lieux, locaux ou industriels, du laboratoire à l'usine en passant par la petite exploitation, intégrant les principes de contrôle qualité, d’hygiène, de pasteurisation, de stérilisation, de transformation et de conditionnement, permirent à nos sociétés d'avoir accès à une nourriture sécurisée de tout danger bactérien et autre. A cet égard, la culture cellulaire de viande est, peu ou prou, similaire aux processus de brassage de la bière ou de culture de spiruline.

Antibioresistance

De tous les fléaux qui menacent notre civilisation, l'antibioresistance est l'un qui, de jour en jour, enfle dramatiquement. Nous la savons étroitement liée au domaine de l'agriculture animale, et plus particulièrement à l'élevage intensif. Cette seule activité concentre près de 70% des antibiotiques utilisés. La viande cultivée serait une voie prometteuse pour endiguer ce malheur qui nous frôle et promet de nous emporter.

Le champ de Biopharma nous démontre qu'une production sans antibiotique avec des taux de contamination de lots très faible (2%), affirmant une contamination contrôlée avec succés dans l’écrasante majorité des cas, demeure possible. Cette capacité puissante d'asepsie doit être adaptée à la culture de viande en abandonnant les techniques classiques de stérilisation thermique ou par irradiation, qui ont un impact direct sur le processus de création de la matrice extracellulaire, au profit de techniques plus adaptées telles que l'utilisation d'iode, de plasma gazeux, d'ultraviolets ou de lyophilisation. Pour incarner cette faisabilité, GoodMeat, par exemple, a déjà produit sa viande cultivée sans antibiotiques (et sans OGM), ainsi que Bio. Tech. Foods qui a annoncé que ses adipocytes étaient exempts d'antibiotiques.

Toutefois, une utilisation acceptable d'antibiotiques reste envisageable pour la culture de viande. Une possibilité acceptable par son usage, éventuel, suffisamment étriqué lors, seulement, de la phase de pré-production (voir schéma), pour l'isolement cellulaire et le développement de sa lignée. Permettant des quantités minuscules et des temps d'exposition assez court aux antibiotiques, contrairement aux volumes administrés et aux mois de vie de l'animal au contact répété d'antimicrobiens pour la viande conventionnelle. Même si la tendance montre clairement un emploi dénué d'antibiotique par la majorité des acteurs de la viande cultivée, leur recours, relativement en marge, reste, intrinsèquement, une éventualité à impact minime.

Hormones

La question des hormones est également cruciale. La consommation de viande conventionnelle induit l'ingestion d'un lot d'hormones présent naturellement dans le morceau d'animal abattu. Nous avons, plus haut, évoqué l'existence de facteurs de croissance dans les solutions nutritives de la viande cultivée. Ceux susceptible d'être les plus utilisés seraient les FGF2, IGF1, NRG1, PDGFB, EGF, TGFβ pour les facteurs de croissance, et l'albumine, la transferrine, l'insuline pour les protéines recombinantes.

Précisons leur portée en nous appuyant, par exemple, sur l'ontologie du FGF (Fibroblast Growth Factor). Protéines de signalisation produites par les Fibroblastes présents dans les tissus conjonctifs de n'importe quel morceau de viande conventionnelle. Leur durée de vie dans l'organisme est d’environ huit heures, et leur thermolabilité permet une forte baisse lors de la cuisson. De plus, ces éventuelles protéines restantes seraient dégradées lors de l'ingestion, par l'estomac. Cependant, ces facteurs de croissance ayant un coût financier non-négligeable, Andrew J. Stout et son équipe ont tout récemment publié leur premier essai concluant et prometteur de viande cultivée grâce à un principe de signalisation autocrinienne (par la conception de Immortalized Bovine Satellite Cells (iBSCs)), bypassant toute nécessité de FGF2.

De là, il est utile de rappeler que si les facteurs de croissance se situent dans les tissus de la viande (cultivée et conventionnelle), d'autres molécules produits par les glandes (pour le cas de la vache, par exemple), des hormones circulantes dans le sang pour influer sur le développement de différents tissus, ne se trouvent donc qu'exclusivement dans la viande traditionnelle.

Pour résumer, tous les éléments actuels, et les dernières avancées, semblent révéler que la viande cultivée commercialisée contiendra moins d'hormones que celle d'une vache nourrie à l'herbe.

Perspectives futures

Même si nos aspirations en la viande cultivée resteront indéfectiblement mus par ses intrinsèques considérations éthiques, comme moyen de lever les cruautés sans nom infligés au règne animal, nous ne pouvons occulter ses effets positifs sur notre actuelle aporie environnementale. Rien que pour la production de viande bovine, passer en viande cultivée (en utilisant de l’énergie décarbonnée) réduirait potentiellement son émission de gaz à effet de serre de 92%, nécessiterait jusqu'à 90% de terres en moins et demanderait 66% moins d'eau. Un autre non-négligeable effet de bord serait celui de faire diminuer significativement les risques de zoonose, que nous savons majoritairement liés à l'élevage intensif, car la viande cultivée ne requerrerait pas les folles concentrations d'animaux que nous connaissons.

Ce domaine naissant s'accompagne de son effervescence, de son flot de progrès qui avance à une vitesse vertigineuse, mais également de ces défis à relever, d'optimisations, d'accessibilité du produit et de pédagogie pour contrer les préjugés ou les fausses informations. Il est regrettable de constater la diffusion de publications sensationnalistes et délirantes sur les réseaux sociaux, affirmant sans vergogne que la culture cellulaire de viande repose sur des cellules cancéreuses, une absurdité sans nom et une manipulation grossière basée sur la déformation du concept d'immortalisation cellulaire. Heureusement, cette idée a été indéniablement réfutée, comme l'a démontré de manière éloquente Eliott Swartz, et soutenue par les conclusions des 23 experts internationaux de la FAO qui ont réaffirmé l'innocuité totale de la consommation de viande produite à partir de cellules initiales, comme les iBCSs, par exemple.

Mes camarades antispécistes critiqueront le prélèvement, son procédé et ce qu'il inclut, ne souhaitant aucune souffrance ou contrainte pour tout animal. Comme eux, mon espoir est de voir un monde adoptant majoritairement une alimentation végétale, or avant que cette utopie se produise (ou non) nécessitera du temps, beaucoup de temps. Dés lors, en attendant, je préfère voir quelques animaux biopsiés plutôt que de continuer à en condamner des millions, ou des milliards à la mort.

Les technophobes obstinés pourront s'opposer à la notion de "laboratoire", sans voir que cette révolution naissante a d'abord été explorée par de petites start-ups et laboratoires en tant qu'étape préliminaire. À mesure que la législation évolue en ce sens, ces technologies pourraient être adoptées pour une production industrielle ou être rendues accessibles à travers de petites exploitations agricoles ou d'autres structures locales.

Le point de bascule semble de plus en plus proche. Après Singapour, ce sont les Etats-unis qui délivrent les premières approbations, par la FAO et l'USDA, pour commercialiser de la viande cultivée. L'entreprise BelieverMeat, entre autre, s'est déjà déclaré prêt à en produire en quantité industrielle, sans antibiotiques, conservateurs ou colorants atificiels, tout en garantissant un prix abordable pour le consommateur.

Cela présage un avenir où la viande traditionnelle sera peu à peu abandonnée pour être remplacée par de la viande cultivée, offrant des sensations gustatives et des propriétés nutritionnelles identiques, et entraînant un changement civilisationnel plus éthique et plus écologique.

Pour aller plus loin