Les Connexions au Vivant

CATEGORIES

ARCHIVES

Le bar de la Fontaine est une brasserie authentique du centre-ville, jouxtant une fontaine historique, d'où son nom. C'est en ce lieu que nous avions décidé de nous poser, Thierry CROUZET et moi-même, à l'occasion d'un de ses rares passages à Blois, pour une conférence, afin d'échanger quelques idées. Autour de notre petite table carré, le temps semblait suspendu. Notre jubilante conversation oscillait entre de douces utopies et quelques affres. Il était question de librisme, d'édition, de mon enthousiasme pour son oeuvre, de monnaie libre, de Nuit Debout, et d'autres sujets passionnants. Nous étions en avril 2016, et Thierry était plongé à l'écriture de Résistants. Au détour de quelques questions sur celui-ci, il ne fuita aucun détails de ce projet en gestation, mais me garantit l'importance de cette ouvrage. Aujourd'hui, Résistants compte parmis les écrits magistraux de ce brillant littérateur, de part sa forme romanesque où l'intrigue hyper-documentée laisse poindre le colossale travail de recherche sur le sujet, et par ce sujet capital traité: l'antibiorésistance.

Certains ont évoqué 2050, où ce fléau pourrait atteindre un climax de plus de dix millions de morts par an. Des milliers d'êtres humains annihilés par de courantes entérobactéries, comme E. coli, K. pneumoniae, ou par toutes autres bactéries communément traitables. Du remède, son mésusage, comme tout pharmakon, pourrait engendrer un séisme sanitaire catastrophique. Pourtant, penser, maladroitement, que le monde bactérien serait un mal qu'il faudrait éradiquer, cette croyance dualiste, occulterait une réalité: notre corps est constitué par bien plus de bactéries que de cellules, et que ces microbes contribuent au fonctionnement de notre organisme. Certaines sont essentielles à notre système digestif, d'autres jouent un rôle majeur au biofilm cutané, alors qu' une autre officierait à limiter les risques de diabète et maladies cardiovasculaires et certaines pourraient être porteuses de solutions au cancer. La pathogénicité bactérienne intervient à la suite d'une fracture dans l'équilibre de ce micro-écosystéme. Par différents leviers, cette virulence prend racine à travers des facteurs favorisant la colonisation, ou par leurs dommages directes (toxines bactériennes, ex: Clostridium tetani).

L'identification bactérienne fut, par ma formation professionnelle, une tâche quasi-quotidienne répétée sur quelques années, me permettant d'être témoin direct de cette antibiorésistance. A travers le MALDI-TOF ou, manuellement, sur une gélose Mueller-Hinton, voir les colonies gagner les disques imbibés de différents antibiotiques. Des antibiotiques ciblant des parties disparates de la bactérie, sa capsule, sa paroi, etc. Ce parcours, me donnant accès aux services d'analyse médicale les plus importants de la région, où, durant nos conversations, des biologistes et chefs de services en bactériologie me partageaient leurs angoisses de voir tomber, un à un, tel des dominos, les derniers remparts thérapeutiques à la résurgence bactérienne. Avant de me confier, qu'une des causes de cette émergente résistance prendrait pied, en grande partie, par l'utilisation massive d'antibiotiques par l'industrie de la viande. Cette information qui fit écho à ma lecture de Résistants quelques années auparavant, où Thierry Crouzet avait déjà exposé cette problématique. Hubris d'une société qui, par perte de son humanité, accoucha d'une énième ignominie en multipliant vertigineusement l'élevage intensif. Dès lors, engendré par ses conditions innommables, l'effroyable concentration nécessite, afin de maintenir en vie ses séquestrés, l'injection considérable d'antibiotiques. Antibiotiques qu'ingérera, en bout de chaine, le consommateur de viande, devenant, à plus ou moins long terme, antibioresistant et contribuant un peu plus à cette future bombe sanitaire.

Souvenons-nous que, mise à part la résistance naturelle, la glaçante ascension de l'émergence, naissant de l'évolution bactérienne par la présence répétée aux antibiotiques, de Bactéries Multi-Résistantes (BMR), puis Hautement Résistantes (BHR), et Ultra-Resistantes (BUR) et enfin, des Bactéries Toto-Resistantes (BTR) n'est que la réaction directe à nos successifs choix sociétaires d’inonder notre environnement d'antibiotiques. Poussant à nous armer de nouvelles thérapeutiques, comme l'utilisation de Bactériophages. Des virus capables de phagocyter certaines bactéries. Une fuite en avant, cherchant à rajouter une couche supplémentaire en traitant les conséquences et non les causes. Avant que les bactéries ne deviennent phagorésistante.

Devant un tel tableau, Fleming aurait pu être désolé du mésusage que notre société a faite de la panacée qu'il nous avait légué, de voir notre environnement imbibé d'un bain d'antibiotiques en tout genre: Comme pesticide sur nos plantes, comme biocide pour la désinfection des surfaces, comme boost pour maintenir une industrie de l'élevage intrinsèquement délirante, ou comme l'utilisation de pesticides (ex. Glyphosate) favorisant l'antibiorésistance. Fleming, serait le premier à nous alerter.

Pour aller plus loin: